Courrier du Grand-Duché de Luxembourg

Dans son acte d'accusation Impuissance d'une constitution pour protéger le droit contre une administration Disposant de la Censure et des Tribunaux (36), Ernest Grégoire raconte qu'il avait conclu un marché avec l'imprimeur Lamort. Il avait obligé le franc-maçon Lamort à suspendre l'impression du libéral Journal de la Ville et du Grand-Duché de Luxembourg afin de pouvoir imprimer le journal catholique Luxemburger Zeitung. Dans le cas contraire, Grégoire menaçait de confier l'impression à une jeune imprimerie concurrente. Lamort aurait accepté et arrêta d'imprimer son Journal de la Ville et du Grand- Duché de Luxembourg samedi 29 juin 1844. Cependant, mercredi 3 juillet 1844, jour de la parution du premier numéro du Luxemburger Zeitung, le journal fut publié sous le nouveau nom de Courrier du Grand-Duché de Luxembourg. Il n'avait même pas changé la police du bandeau.

L'orientation politique du Courrier devait toutefois changer. Le Prospectus (37) souligne que l'autonomie de l'État, de l'administration et des usages différenciait le Luxembourg des pays voisins et que le pays avait par conséquent besoin d'un organe pour défendre ses intérêts. Ainsi, le journal se distanciait également de la position orangiste impopulaire de son prédécesseur. Si le Journal de la Ville et du Grand-Duché de Luxembourg représentait avant tout les intérêts de la bureaucratie gouvernementale libérale et orangiste, le Courrier devint l'organe du capital industriel en plein essor. Il devint ainsi un important journal démocratique de la révolution de 1848, et un journal qui, du point de vue des propriétaires bourgeois, était également le premier à se préoccuper de la « question sociale », c'est-à-dire de la situation des premiers ouvriers industriels.

Avant que le Courrier puisse annoncer le 18 mars 1848 la suppression de la censure, contre laquelle l'éditeur Hoffmann s'était rebellé ouvertement les mois précédents (38), il avait à plusieurs reprises critiqué les états généraux pour leur indifférence (25.9.1846) et le gouvernement pour son inaction à l'égard de la misère sociale. Il publia de façon répétée des articles sur l'augmentation effroyable de la misère (19.12.1846), qui aurait rappelé la situation irlandaise (12.1.1848), la mendicité (2.10.1847, 13.1.1847) et le coût élevé des denrées alimentaires. Il consacra à la révolution à Paris un supplément spécial (26.2.1848) et ensuite des documentations détaillées. Pendant la révolution, il publia des comptes rendus des séances des états généraux plus détaillés que le rapport officiel de la Chambre, et pendant la campagne électorale qui suivit la réforme de la Constitution, Charles Metz devint le premier dans l'histoire de la presse luxembourgeoise à signer régulièrement ses articles. Sous le gouvernement de la Restauration, instauré en 1853 et dirigé par Simon, et finalement après le coup d'État de 1856, qui réintroduisit entre autres la censure dans la presse, le Courrier devint un journal d'opposition se sentant persécuté aussi bien par le clergé que par les « barons » du gouvernement. Il critiquait violemment la politique du vicaire apostolique Laurent.

Le Courrier appartenait au propriétaire d'usine et homme politique Norbert Metz (1811-1885), qui rédigeait le journal avec son frère, l'avocat et propriétaire d'usine Charles Metz (1799-1853). Le 10 janvier 1846, le Courrier annonça que depuis le début de l'année, Schrobilgen, le rédacteur du Journal ne participait plus à la rédaction du Courrier. L'éditeur était le libraire Victor Hoffman. Avec l'imprimerie Lamort, l'imprimerie Victor Bück reprit également en charge l'impression du Courrier, jusqu'à ce que les frères Metz ouvrent leur propre imprimerie pour le Courrier.

En règle générale, chaque édition commençait par un bulletin politique, un genre de résumé de la situation internationale. Dans la rubrique suivante concernant le Grand-Duché paraissaient des commentaires, des correspondances et des nouvelles qui concernaient aussi bien des décisions gouvernementales que l'histoire d'une ivrogne qui avait été emmenée de force au commissariat de police. Le tiers inférieur de la première page était souvent réservé à des articles de type feuilleton, qui traitaient de choses diverses, allant de récits en plusieurs parties à des souvenirs de voyage en passant par des articles sur l'histoire locale jusqu'à de rares poèmes. Les actualités internationales étaient copiées de journaux étrangers. La quatrième page se composait surtout d'annonces, parmi lesquelles figuraient les premières annonces illustrées pour des produits industriels (7 et 17.10.1846).

Le Courrierparaissait le mercredi et le samedi sur quatre pages divisées en trois colonnes et, dans les périodes d'intense activité politique, s'accompagnait de deux ou quatre pages de Supplément. L'abonnement avec distribution postale coûtait 5 florins par semestre et, après la révolution de 1848, à partir du mois de juillet, le prix fut indiqué en francs luxembourgeois. Selon le gouverneur de la Fontaine (39), le tirage comptait, fin 1844, 248 exemplaires. Le journal parut le jeudi et le dimanche à partir de janvier 1856, et le mercredi, le vendredi et le dimanche à partir de janvier 1857. Le 1er janvier 1860, il devint le seul quotidien de l'époque et adopta en juillet de la même année un format grand folio avec des feuilles divisées en quatre colonnes. Il se qualifiait de journal du soir et coûtait dès lors 5,50 francs pour l'abonnement au trimestre et 7 francs pour la distribution postale en dehors de la forteresse. Le tarif des petites annonces était de 10 centimes la ligne. Le dernier numéro conservé est daté du 20 décembre 1868, après que ses éditeurs eurent fondé un quotidien rédigé en allemand, le Luxemburger Zeitung.

(36) Grégoire 1845, p. 22 (37) Blum 1897, p. 28 (38) Mannes, Weber 1998, p. 70 (39) Mannes, Weber 1998, S. 65

Tiré de : Hilgert, Romain : Les journaux au Luxembourg, 1704-2004. Luxembourg : Service information et presse, 2004, p. 187. (Tous droits réservés)