A l’époque où la parution du Luxemburger Wochenblatt cessa, l’entreprise Jacques Lamort, située sur la place d’Armes, imprima samedi 1er juillet 1826 le premier numéro d’un nouvel hebdomadaire, le Journal de la Ville et du Grand-Duché de Luxembourg.
Le rédacteur n’était plus un immigré démuni, mais un représentant de la bourgeoisie locale connu : Mathieu Lambert Schrobilgen ; dans l’édition du 11 septembre 1839, Lamort est mentionné comme éditeur responsable. Ils fondèrent la presse libérale de la bourgeoisie qui aspirait au pouvoir économique, culturel et politique, presse qui devait dominer pendant des décennies.
Né dans le Grund, l’année de la Révolution en 17897, Schrobilgen fut d’abord avocat, puis entra au service du gouvernement en 1815, fut nommé secrétaire de la régence en 1820, fonction qu’il exerça en parallèle à ses activités de receveur communal, et devint juge à la Cour suprême en 1831. Au sein de la loge maçonnique, du Casino bourgeois et de la Société littéraire, il prit activement part à la vie culturelle de la petite ville. Ses collaborateurs étaient Yves Hippolyte Barreau (1798-1877), professeur à l’Athénée, ainsi que l’avocat François Xavier Wurth-Paquet (1801-1885), comme celui-ci les énumère dans une note.
Le Journal promettait dans son premier numéro de tenir ses lecteurs au courant de toutes les nouvelles de la province et de la ville de Luxembourg dont l’utilité sociale méritait une publication. Il s’engageait également à mettre un soin tout particulier à être luxembourgeois au plus haut degré, dans l’esprit du sentiment national naissant.
Outre des actualités étrangères sur la première page, on y imprimait des communiqués sur les séances des états généraux considérés comme le substitut d’un parlement, des rapports sur la situation administrative du Grand-Duché et des projets de loi. Le journal, loyal envers le gouvernement, ne remettait en question ni ne critiquait ces rapports. Mais, pour la première fois ou presque, les citoyens intéressés avaient l’occasion de lire noir sur blanc des articles sur les affaires courantes du gouvernement et pouvaient en discuter dans les salons de café. Ainsi le journal, du moins jusqu’à la révolution de 1830, contribua au développement de l’opinion publique, à laquelle les dirigeants, malgré toutes les résistances, se sentaient tenus de rendre des comptes.
En outre, dans les colonnes du journal, on n’imprimait pas que du courrier des lecteurs au sujet des ruelles sales, mais on menait également des débats sur le développement économique du Grand-Duché grâce à la promotion de l’industrie, de l’agriculture et du commerce, sur la politique de l’éducation et l’instruction de la classe ouvrière (19.3.1828), sur les causes de l’émigration brésilienne (17.5.1828) ou encore sur l’instruction religieuse et la liberté des cultes - l’éditeur Schrobilgen était frère de la loge maçonnique, tout comme son imprimeur. Le curé Martin Blum déplore que les années 1842-1844 regorgent d’attaques contre l’évêque Laurent et l’Église persécutée et détestée à travers sa personne.
Les auteurs de correspondances commencèrent à signer de leur nom. L’abonnement semestriel au journal de quatre pages au format petit folio 35 x 20 cm coûtait 3 florins et la distribution postale en dehors de la ville 3,26 florins.
Les publications, annonces et divers communiqués devinrent plus nombreux et occupèrent bientôt avec la dernière page un quart du journal. Les annonces commerciales proposaient surtout des biens immobiliers, des produits de l’agriculture et de la sylviculture, les produits industriels étaient encore relativement rares. Les petites annonces coûtaient 10 centimes la ligne.
Il y eut des articles sur des audiences, des accidents du travail, des délits de fuite, des intempéries, le marquage au fer rouge de condamnés (6.8.1828), l’état de santé changeant de Goethe ainsi que l’annonce erronée de sa mort le 15.12.1830, des collectes d’argent pour soutenir la guerre d’indépendance grecque, l’exhibition d’une jeune Esquimaude en ville (8.8.1829), le nombre de loups abattus (27.2.1828) et les noms des quatre étalons castrés au Haras grand-ducal de Walferdange (6.10.1827), mais également sur l’invention du daguerréotype (13.2.1839).
Sur le plan culturel, on continua à souligner la nécessité d’une salle de théâtre, on attira de manière exagérée l’attention des lecteurs sur l’exposition, dans la vitrine d’une librairie, de la dernière lithographie en date de Fresez représentant des vues de la ville et on fit de la publicité pour les nouvelles parutions, dont le premier livre en luxembourgeois d’Antoine Meyer (2.9.1829). Sur le modèle du débat politique en Belgique, le Journal eut, le 29 septembre 1827, peut-être pour la première fois, l’idée de qualifier le luxembourgeois de langue nationale du Grand-Duché, 160 ans avant la loi correspondante. Au début, un ermite de Mansfeld se livrait assez souvent à des considérations feuilletonesques sur tout et n’importe quoi.
Le succès ne se fit pas attendre. En effet, au bout de six mois, à partir du 3 janvier 1827, le Journal commença à doubler son rythme de parution, parut dès lors le mercredi et le samedi, et le prix de l’abonnement fut par conséquent augmenté à 5 florins et 5,52 florins pour la distribution postale.
Cependant, le Journal, loyal envers le gouvernement, devait bientôt connaître des difficultés insoupçonnées. Il n’avait que rarement fait état de la situation économique et sociale au Grand-Duché, comme dans une correspondance du 6 mai 1829, selon laquelle les souffrances de la région de l’Oesling étaient indicibles : il y aurait eu un manque absolu de bois de chauffage, une absence totale de fourrage, auxquels se seraient ajoutés le monopole céréalier et le retard dans les semences. Des pétitions avaient ensuite été les premiers signes de la révolution belge, qui commença surtout sous forme de révolte fiscale. L’année suivante, le Journal relata que le drapeau de la révolution flottait sur tous les villages aux alentours de la forteresse (27.10.1830). Mais, le 2 janvier 1830, le Journal dut se défendre et s’attribua une opposition modérée. Un mois plus tard, le Courrier des Pays Bas expliqua la loyauté du Journal au gouvernement de façon très matérialiste, en déclarant que Schrobilge était secrétaire de la régence au Luxembourg et que Lamort était chargé de l’impression du journal officiel.
Pendant une décennie, tout le pays se rangea du côté de la Belgique révolutionnaire, seule la capitale devait, sous la pression de la garnison prussienne de la forteresse, rester fidèle au roi et grand-duc néerlandais. Schrobilgen appartenait au petit cercle de commerçants et de fonctionnaires libéraux et souvent francs-maçons qui prenaient ouvertement parti pour la dynastie hollandaise des Orange-Nassau et qui militaient contre l’annexion à une Belgique indépendante, annexion défendue pour cette raison en partie par le clergé. Son Journal,qui n’était auparavant qu’un journal gouvernemental, devint ainsi un journal de propagande orangiste, prisonnier de la forteresse et au moins indirectement subventionné par La Haye, appelant à une contre-révolution armée et se distançant de bon nombre de ses lecteurs sympathisants de la révolution.
En 1837, le rédacteur Schrobilgen était assis entre deux chaises. Le Journal n’était pas encore assez royaliste au goût du référendaire local du roi et il planifia sans succès de publier son propre journal royaliste. En même temps, à Diekirch, où le roi et la garnison prussienne n’avaient plus d’emprise, paraissait le Wochen-Blatt für Bürger und Landsleute. Le Journal comptait encore 95 abonnés.
En 1839, la Restauration aboutit à la division du Grand- Duché, dont la partie occidentale wallonne resta belge. La partie orientale, de langue luxembourgeoise, repassa sous le contrôle du roi néerlandais et adhéra en 1842 à l’union douanière, en dépit de l’opposition d’une grande partie de la population. Cependant, cette région avait obtenu en 1841 sa propre constitution, qui prévoyait l’établissement de ses propres états généraux et de son propre gouvernement. Les bourgeois orangistes libéraux restèrent au pouvoir et le Journal demeura leur journal gouvernemental, secrètement subventionné en 1842 par les caisses de l’État à hauteur de 1 200 florins. En 1844, selon un rapport de de la Fontaine14, le journal comptait à nouveau 140 abonnés. Le journal publia son dernier numéro le 29 juin 1844, et fut remplacé seulement quatre jours plus tard par le Courrier du Grand- Duché de Luxembourg.
Tiré de : Hilgert, Romain : Les journaux au Luxembourg, 1704-2004. Luxembourg : Service information et presse, 2004, p. 187. (Tous droits réservés)